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À l’occasion du Forum africain sur les systèmes alimentaires (AFSF 2025), tenu du 31 août au 5 septembre à Dakar, la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (COPAGEN Sénégal) à travers sa communication du 03 Septembre 2025 dénoncé les limites de la Révolution verte promue par l’AGRA. Elle appelle les autorités sénégalaises à harmoniser la loi nationale sur les semences avec les engagements internationaux du pays et à donner la priorité à l’agriculture familiale, garante de la souveraineté alimentaire.

Créé en 2006 à Oslo, le Forum est à sa 19ème édition. Le Forum est le principal forum mondial consacré à l’agriculture et aux systèmes alimentaires africains. Il vise à stimuler la volonté politique et à promouvoir les politiques, les programmes et les investissements nécessaires à une transformation des systèmes alimentaires. Plus de 6 000 participants, plus de 1 000 industriels et experts et plus de 1 500 PME africaines, qui cherchent des investisseurs, sont attendus. Le Forum est axé sur la jeunesse et son rôle dans la transformation des systèmes agroalimentaires africains. 

Le Forum est organisé sur l’initiative de l’AGRA, Alliance pour une Révolution Verte en Afrique, dont la vision est basée sur l’utilisation d’engrais, et pesticides chimiques, des variétés à haut rendement, souvent hybrides et OGM, la mécanisation et l’irrigation. Les 30 ans d’expérience de La Révolution Verte dans le monde ont largement démontré ses limites. L’utilisation des variétés à haut rendement, en monoculture, provoque la pollution de l’eau et de l’environnement, l’épuisement et destruction des sols et conduit à la perte de la biodiversité. Le paquet technologique ne garantit pas les rendements durables des variétés à haut rendement : généralement, au bout de quelques années, le sol s’épuise et les rendements baissent. L’application des engrais chimiques ne suffit pas pour restituer l’humus du sol.

Les variétés à haut rendement sont propices à l’agro business des grandes exploitations, axées sur les cultures d’exportation. Elles ne conviennent pas à l’agriculture familiale durable. Les paysans nourrissent l’Afrique, grâce à leurs variétés et pratiques paysannes. Le forum du CNCR, Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux, 2010, a démontré que les exploitations familiales agricoles peuvent nourrir l’Afrique.     

Des systèmes agro industriels, basée sur l’utilisation des variétés à haut rendement, s’accompagnent de la réduction drastique de la biodiversité agricole. L’adoption par les paysans de ces variétés provoque l’abandon des variétés locales ce qui conduit à la dépendance semencière des paysans. Les abeilles et d’autres pollinisateurs sont en train de disparaître. L’introduction des variétés OGM provoquent la contamination et la dégénérescence des variétés locales du mais, du niébé et du sorgho au Sénégal.

La loi nationale sur les semences N° 94.81, adoptée en 1994, est inadaptée au conteste africain, où l’essentiel des semences utilisées vient des semences paysannes, qui constituent 86 % des semences utilisées au Sénégal, d’après DAPSA 2022. La loi semencière nationale, qui constitue une copie de la loi française, favorise uniquement le système semencier formel puisqu’elle a, comme finalité, la production des semences certifiées pour les variétés améliorées. Elle ne reconnait ni les semences paysannes, ni les paysans en tant que producteurs de semences. Cette loi empêche la synergie des efforts entre les paysans, les chercheurs et les agronomes. Elle empêche la définition des politiques agricoles efficaces. Elle bloque la solution du problème de manque des semences de qualité.

La loi semencière nationale n’est pas en conformité ni avec le traité TIRPAA, 2001, ni avec la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des paysans, 2018. Le TIRPAA, Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture, dont le Sénégal est signataire, a comme objectif la préservation de la biodiversité des semences agricoles pour une agriculture durable et pour la sécurité alimentaire.

La biodiversité est à la base de l’agriculture, de la chaîne alimentaire agricole, et des services écosystémiques agricoles importants. La biodiversité est indispensable pour assurer la sécurité et la souveraineté alimentaire. Les variétés locales constituent la base de la biodiversité agricole. Depuis 12 000 ans environ, les paysans sélectionnent des variétés de plantes et des races d’animaux pour les adapter à des environnements variés et pour répondre à divers besoins nutritionnels et sociaux.  Les variétés paysannes sont bien adaptées aux conditions locales, souvent très difficiles.

L’agriculture familiale du Sahel est très vulnérable aux changements climatiques, notamment à la sécheresse et aux inondations. Les variétés paysannes sont plastiques et résilientes aux effets du changement climatique. L’appauvrissement de la biodiversité conduit à une plus grande vulnérabilité des écosystèmes agricoles. L’érosion de la diversité génétique de l’agriculture moderne, basée sur les variétés homogènes, a contribué à une expansion rapide des maladies, conduisant à l’insécurité alimentaire.

Le TIRPAA, dans son article 9, reconnaît les droits des agricultures sur les semences et, dans plusieurs de ses résolutions, demande aux états d’ajuster les lois nationales avec les dispositions du TIRPAA. La politique agricole nationale actuelle est orientée vers la promotion de l’agriculture commerciale, basée sur les variétés à haut rendement, en faisant de l’agriculture familiale la subordonnée de l’agrobusiness.

L’agrobusiness est tourné vers l’exportation, tandis que l’agriculture familiale, basée sur les semences paysannes, sert à l’autoconsommation. Les semences paysannes garantissent la sécurité et la souveraineté alimentaire. Elles constituent le pilier de l’agriculture familiale, biologique et écologique.

La COPAGEN Sénégal demande aux autorités du Sénégal de:

1.            Mettre en place un cadre de concertation pour la reconnaissance juridique des semences paysannes et des droits des agriculteurs au Sénégal en procédant à l’harmonisation de la loi nationale sur les semences avec le TIRPAA, et avec la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des paysans.

2.            Redéfinir les politiques agricoles de façon à donner la priorité à l’agriculture familiale par rapport à l’agro-industrie.

3. Orienter les politiques agricoles de façon à privilégier les cultures d’origine africaine, vu leurs avantages d’adaptation au milieu locale et leurs valeurs nutritionnelles, culinaires, thérapeutiques, technologiques et culturelles élevées. Le Sénégal a la chance d’être situé dans un endroit très riche en diversité agricole qui a donné les cultures comme le mil, le sorgho, le niébé, le fonio, le sésame, le bissap, le gombo, le diakhatou, les courges, le voandzou (gadianga), le riz africain, etc. C’est un trésor à préserver pour les générations futures ! Cependant, les plantes locales ne sont pas encore suffisamment utilisées et valorisées. Le remplacement des monocultures, pour l’ensemble des cultures du Sénégal, par les polycultures peut être bénéfique pour augmenter la productivité de façon durable.

4.            Réexaminer la SPANB, Stratégie nationale et le Plan national de conservation de la diversité biologique, piloté par le ministère de l’environnement, pour y intégrer un programme spécial de sauvegarde des ressources phyto génétiques agricoles originaires de l’Afrique de l’Ouest, afin de stopper le processus de la disparition des variétés locales des différentes cultures africaines, qui est en cours. D’après le rapport de la SPANB, 2015, un grand nombre de ces variétés est menacé de disparition et certaines variétés sont déjà disparues.

5.            Mettre en place des programmes de recherche participative qui comprennent les chercheurs et les paysans, sur la création des variétés adaptées, notamment aux changements climatiques. Il existe quelques travaux de recherche qui impliquent les paysans ; il est souhaitable d’approfondir cette collaboration pour trouver une synergie d’efforts des scientifiques et des paysans pour créer des nouvelles variétés bien adaptées aux milieu local.

  Fait au Sénégal, le 3 septembre 2025.

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