Babaclimat COP26 Glasgow 2021 Reportage de Géraud B. Delzons Envoyé Spécial de RFI à Glasgow repris par babaclimat.Aïssatou Diouf, la Sénégalaise militante tout terrain de la cause climatique »En multipliant ses observations, elle réalise combien « la crise climatique exacerbe les vulnérabilités des populations et renforce les inégalités économiques. Ce travail de terrain, ces histoires, ces tranches de vie, vont nourrir et construire mon plaidoyer politique pour influencer les politiques nationales et internationales ». Investie depuis une décennie environnementale, la militante sénégalaise ne connaît pas la lumière médiatique portée sur d’autres égéries. Elle emploie son énergie à faire remonter les besoins des populations des villages de brousse aux conclaves feutrés des négociations internationales. Alors que la deuxième partie de la COP26 démarre, elle estime que le compte n’y est pas pour l’Afrique.« Pour moi, il y a pour l’instant une COP dans une COP. Les annonces de la semaine dernière, sur le charbon, le méthane ou la déforestation relèvent seulement des bonnes intentions, il faut maintenant que cela se concrétise dans les salles de négociations. Nous sommes pour l’instant insatisfaits et nous attendons des actes. Nous lançons appel spécifique sur la question des pertes et dommages liés au réchauffement qui n’est toujours pas prise en compte dans le financement climat. Cette semaine s’annonce très politique et déterminante. »Entre deux réunions, le souffle court et bousculée par la foule nombreuse dans les couloirs du Scottish Event Campus, Aïssatou Diouf ne cache pas son amertume. Alors que les pays pauvres réclament entre 750 et 1 300 milliards de dollars à partir de 2025 pour faire face au réchauffement climatique, dont un tiers pour l’Afrique, « nous sommes encore très loin des 100 milliards de dollars annuels prévus depuis dix ans et que nous n’arrivons toujours pas à obtenir ».Impliquée dans la matrice diplomatique des négociations climat, la native de Thiès, 37 ans, est une figure clé de la cause climatique en Afrique francophone. Quand, en 2011, elle rentre de Nice à Dakar au terme d’études universitaires, c’est pour plonger dans « le monde des ONG » et accomplir sa vocation : « Être utile à ma communauté dans le domaine du développement », résume-t-elle. « Mes parents m’ont inculqué le sens de l’engagement. Eux-mêmes l’avaient en suivant leurs élèves. Je dis souvent que je fais de la politique car j’agis pour le bien public, je m’investis pour une cause. »Elle intègre Enda Energie, une branche du réseau Enda Tiers Monde créé en 1972 et qui intervient partout dans le monde, dans différent domaines liés au développement durable. Aïssatou y est aujourd’hui en charge des politiques internationales sur le climat. Un poste plutôt intellectuel mais qui ne la coupe pas pour autant du terrain. Elle parcourt l’arrière-pays sénégalais et traverse même les frontières, grâce à son implication au sein du Climate Action Network, un vaste réseau d’ONG dont elle est la coordinatrice pour l’Afrique centrale et de l’Ouest.Elle découvre alors les impacts du changement climatique sur diverses communautés, agricoles ou piscicoles. En 2016, elle se rend à Palmarin, une ville côtière du sud du Sénégal. Ici, personne ne doute plus du réchauffement. Les vagues grignotent inexorablement le littoral, sans s’arrêter aux maisons qui le bordent. « J’ai rencontré un vieux monsieur, Bouba Seck, un ancien paysan pêcheur. L’érosion côtière a eu des conséquences désastreuses sur sa vie… », se souvient la jeune femme. D’abord, il y a eu la salinisation des terres qui a réduit ses surfaces cultivables. Puis la mer a commencé à s’attaquer à sa maison. Année après année, il répare les dégâts. À perte. « Il a investi 13 millions de francs CFA, les économies d’une vie en fait. La mer a fini par envahir les chambres. Ses enfants ont fini par quitter le logement pour se loger chez des amis, des voisins. Lui est resté. Il n’a pas les moyens d’aller vivre ailleurs. Il doit donc vivre avec les impacts du changement climatique. »En multipliant ces observations, elle réalise combien « la crise climatique exacerbe les vulnérabilités des populations et renforce les inégalités économiques. Ce travail de terrain, ces histoires, ces tranches de vie, vont nourrir et construire mon plaidoyer politique pour influencer les politiques nationales et internationales ». Objectif visé : inscrire la question cruciale de l’adaptation au changement climatique dans les planifications de développement. « Concrètement, cela veut dire que quand on construira de nouveaux bâtiments par exemple, ou quand on investira, il ne faudra plus faire comme avant. Et l’idée, à travers nos projets, est de montrer à l’État ce qu’on réussit à faire au niveau des villages, pour en faire bénéficier le plus grand nombre grâce aux politiques publiques nationales. »De plus en plus de pays du Sud réclament en effet une plus grande part du financement climat soit dévolu à l’adaptation (c’est-à-dire à la limitation des impacts), alors que 80% vont pour l’instant à l’atténuation, la réduction des émissions. Une répartition déséquilibrée : l’Afrique émet moins de 4% des gaz à effets de serre dans le monde. En revanche, ses écosystèmes en subissent massivement les conséquences. « C’est pour cela que je m’efforce de porter les voix des communautés dans les réunions que j’ai avec les réseaux [d’ONG] des pays du Nord et les institutions internationales. De dire qu’au-delà de ces chiffres un peu abstraits de 1,5°C, des 100 milliards du financement climat dont les pays développés font comme si c’était énorme alors que c’est mille fois rien comparé à ce qui est nécessaire, l’enjeu est de sauver des vies. »Si parmi ses amis, nombreux sont ceux à être sensibilisés aux enjeux climatiques, Aïssatou note que beaucoup s’agacent à l’idée que cette lutte se fasse, à leurs yeux, au détriment du développement des pays pauvres. « J’essaie de leur expliquer qu’on pourra se développer, mais pas comme avant, pas par le biais d’un système basé sur des énergies fossiles. Les énergies renouvelables et leurs co-bénéfices sont l’avenir du développement. » Là encore, l’empirisme vaut plus que les plaidoyers les mieux ficelés. « Par exemple, on a un grand projet, Progrès-lait, à Saint-Louis et Louga, au nord du Sénégal et à Kolda, au sud. Là-bas, les communautés qui produisent du lait n’arrivaient pas à le conserver lors de périodes de forte production. Enda a donc mis en place quatre plateformes, de petites unités qui fonctionnent à l’énergie solaire et qui abritent des cuves pour conserver le lait. Tout un marché et des activités génératrices de revenus ont pu se mettre en place ensuite. L’accès à l’énergie peut transformer la vie des gens. »Convaincre, argumenter, débattre, vulgariser… La cause climatique est un tonneau des Danaïdes pour bien des militants écologistes qui parfois s’épuisent et jettent l’éponge. Pourtant, point de lassitude chez Aïssatou. « Il ne faut jamais désespérer », répond-t-elle quand on lui demande ses convictions ; « je suis passionnée », confie-t-elle quand on s’enquiert de ses qualités ; « je suis têtue à me cogner la tête », ajoute-t-elle dans un éclat de rire sans qu’on ne lui demande ses défauts. En plus de son expérience terrain, elle enfile les COP comme les perles d’un collier. Celle de Glasgow est sa neuvième. « Son engagement sur la durée m’impressionne. Elle est particulièrement fidèle à suivre des projets jusqu’à leur mise en œuvre. Je ne l’ai jamais vue baisser les bras », témoigne Fanny Petitbon, responsable de plaidoyer à l’ONG Care France, qui côtoie Aïssatou Diouf depuis la COP de 2015, lors des réunions du Climate Action Network.Une chose cependant l’exaspère : la vision court-termiste des décideurs. « Un peu partout en Afrique, le mot émergence est mis en avant. Mais sans prendre en compte l’ensemble des défis et sans projection à long terme, tout investissement sera de l’argent jeté par les fenêtres. Les politiques ont rendez-vous avec les électeurs tous les cinq ou sept ans. Mais la temporalité climatique est longue, ce sont des processus à initier, des communautés à intégrer, dont il faut écouter l’avis, leur vision du développement, pour s’assurer que ce qui sera mis en œuvre réponde à leurs besoins. Notre défi, c’est d’arriver à mettre des actions en peu de temps. »Elle vitupère aussi, mais calmement, contre les « beaux discours » non suivis d’actes : « Le gap qu’il y a entre les paroles et les actions qu’il faudrait entreprendre pour aider ces gens comme le monsieur de Palmarin est tellement énorme qu’on a l’impression qu’on vit dans des mondes parallèles, que les leaders des pays développés notamment n’ont pas conscience de l’impact que ces changements ont. Ce n’est plus possible de venir les écouter en plénière disant qu’il faut changer puis arriver dans les salles de négociations et entendre les négociateurs, mandatés par eux, tenir un discours opposé… »Dans les COP, Aïssatou Diouf est coiffée de plusieurs casquettes. Elle est, en tant qu’expert énergie-climat, intégrée à la délégation de son pays. Elle alterne donc les conciliabules avec le groupe Afrique, les négociations thématiques puis les réunions en tant que militante. N’y voit-elle pas un mélange des genres ? « Les demandes des pays africains et des organisations de la société civile ne sont pas très éloignées, comme celle de l’adaptation ou le respect des engagements pris. Moi en tout cas, dans ces négociations, je me sens ONG. » Elle évoque aussi le handicap bien connu des faibles ressources humaines des pays en développement, qui ne peuvent envoyer des experts dans chaque négociation thématique parallèle pour croiser le fer. Les compétences et l’expérience d’Aïssatou Diouf sont à ce titre précieuses et sollicitées. « Elle est capable de s’adapter à un public hétéroclite, reprend Fanny Petitbon. Elle a une bonne connaissance des enjeux politiques des COP par rapport à d’autres de ses collègues qui ont des compétences techniques mais ne savent pas forcément bien traduire les besoins auprès des politiques. »La jeune femme affiche une nature flegmatique et réfléchie au prime abord, trompeusement dilettante. « Elle monte facilement au créneau face aux négociateurs de groupes avec lesquels la relation peut parfois être compliquée, avertit Fanny Petitbon. Je l’ai vue à l’œuvre, notamment sur la question des pertes et dommages, elle défend bien le bout de gras. » Gageons qu’avec Aïssatou Diouf, les voix du continent africain continueront, au moins, d’être entendues.Texte de Géraud B.Delzons Envoyé Spécial Spécial de RFI à Glasgow repris par babaclima