Au Sommet de l’Élevage 2025, à Clermont-Ferrand, l’avenir de la filière viande bovine en Afrique de l’Ouest a été au cœur d’une conférence organisée par la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (FERDI) et l’Institut de recherche et d’application des méthodes de développement (IRAM).Le thème du jour posait une question essentielle : la chaîne de valeur viande bovine en Afrique de l’Ouest peut-elle se passer de l’élevage mobile ?Le Dr Issaka Sawadogo, président de la Confédération des fédérations nationales de la filière bétail-viande de l’Afrique de l’Ouest (COFENABVI-AO), y a livré une analyse lucide et sans détour.Q : Dr Sawadogo, pourquoi la question de l’élevage mobile reste-t-elle centrale pour la filière viande en Afrique de l’Ouest ?Dr Issaka Sawadogo : L’élevage mobile est au cœur du fonctionnement de notre filière. Entre les zones d’élevage, situées majoritairement dans le Sahel, et les grands marchés de consommation installés dans les pays côtiers, la mobilité du bétail structure depuis des décennies les échanges économiques régionaux.C’est un système vivant, adapté aux réalités climatiques, pastorales et commerciales de la région. Remettre en cause cette mobilité sans alternative viable, c’est fragiliser toute la chaîne de valeur.Q : L’insécurité semble aujourd’hui être la principale menace pour cette mobilité. Quels en sont les effets concrets ?Dr Issaka Sawadogo : Oui, la filière est durement touchée par l’insécurité. Les éleveurs sont contraints d’éviter certaines zones, ce qui allonge les itinéraires de transhumance et augmente les coûts de transport.Ces détours se répercutent sur les prix du bétail et de la viande. Dans certains cas, des convois entiers sont bloqués ou détournés. Cela perturbe les approvisionnements et compromet la rentabilité des acteurs.Malgré la multiplication des marchés à bétail, il devient de plus en plus difficile d’écouler les animaux dans des conditions sûres et transparentes.Q : Face à ces défis, quelles solutions préconisez-vous au niveau régional ?Dr Issaka Sawadogo : Il faut une mobilisation collective. D’abord, il est urgent de sécuriser les couloirs de transhumance et les circuits de convoyage du bétail. Cela nécessite une coordination entre États, forces de sécurité et organisations professionnelles.Ensuite, il faut renforcer le dialogue entre éleveurs et agriculteurs. Les tensions foncières s’aggravent, et seul un cadre de concertation durable peut prévenir les conflits récurrents.Enfin, la CEDEAO et la COFENABVI-AO travaillent à repenser la logistique régionale, en intégrant des abattoirs modernes dans les zones de production et en améliorant les infrastructures de transport vers les pays côtiers.Q : Certains estiment qu’il faut rapprocher les élevages des zones de consommation pour réduire les coûts. Qu’en pensez-vous ?Dr Issaka Sawadogo : C’est une piste, mais elle ne doit pas se substituer à la mobilité pastorale. Le modèle de production doit rester flexible.Rapprocher les élevages des villes peut aider, mais cela suppose un accès à l’alimentation animale, à l’eau et aux services vétérinaires.Il faut penser complémentarité plutôt qu’opposition : moderniser les élevages fixes, tout en maintenant la mobilité, qui garantit la durabilité écologique et économique du système.Q : En conclusion, quel message souhaitez-vous adresser aux décideurs ?Dr Issaka Sawadogo : Nous devons défendre l’élevage mobile comme un patrimoine économique et culturel. C’est un pilier de l’intégration régionale et un moteur pour des millions de familles.Sans sécurité, sans infrastructures et sans reconnaissance politique de ce modèle, la filière viande bovine ouest-africaine perdra sa vitalité.Nous appelons donc à un engagement fort des États et des partenaires pour préserver et moderniser cette mobilité indispensable.Babacar sene journal Agropasteur
