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Le Journal Agropasteur revient ici sur l’article du Dr Papa Abdoulaye Seck Ancien ministre de l’Agriculture, membre de l’Académie nationale des sciences et technologies, Dakar, Sénégal) et de Jean-Louis Rastoin Institut agro, Montpellier, France (source Cah. Agric. 33: 4. https://doi.org/10.1051/cagri/2023028) , qui pose la question de la trajectoire future de nos systèmes alimentaires. À partir de la littérature scientifique et de l’expertise, il recommande une transition du scénario tendanciel de généralisation du modèle agro-industriel vers une configuration conforme au triple objectif – social, écologique et économique – d’un développement durable, défini en 1992 lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro. Une telle transition suppose de quitter la route de la servitude tracée tant pour les consommateurs que pour les producteurs par les externalités négatives du système alimentaire dominant en ce début des années 2020.Après quatre transitions technologiques et organisationnelles en 400 000 ans, l’humanité est en quête d’une sécurité alimentaire durable et partagée. En effet, les lourdes externalités négatives du système agro-industriel devenu hégémonique en 150 ans incitent à reconstruire les systèmes alimentaires dans une perspective socio-écologique. Sur la base d’une synthèse de diverses prospectives, les auteurs présentent le scénario alternatif de « systèmes alimentaires territorialisés durables » (SATD) fondés sur la qualité élargie des produits, l’autonomie territoriale, la proximité et la solidarité. Un tel scénario induirait de profonds changements dans les pays du Nord et du Sud, avec des trajectoires contextualisées. Pour l’Europe, il s’agit d’une rupture de tendance. En Afrique, la faible prégnance du modèle agro-industriel suggère une orientation directe vers des SATD, sans passer par ce modèle agro-industriel. À partir de considérations théoriques et empiriques, quatre préconisations sont faites à l’intention des décideurs publics et privés : planification stratégique, prévention des risques par le concept « une seule santé », redéploiement de la chaîne des savoirs, reconfiguration des filières agro-alimentaires et de leurs modes de gouvernance. De l’avis du Dr Papa Abdoulaye Seck « Notre propos se fonde sur deux arguments. D’une part, le chemin de la durabilité de notre alimentation ne peut s’inscrire dans une adaptation forcément marginale du modèle agro-industriel pour les pays dans lesquels il est aujourd’hui hégémonique (pays à haut revenu et pays émergents) ou un passage obligé par ce modèle dans les pays à faible revenu où il n’est encore que très faiblement présent : la linéarité et le mimétisme ne constituent pas une fatalité. D’autre part, et contrairement à ce que recommandait Friedrich Hayek (1944) dans son célèbre ouvrage « The road of Serfdom », ce n’est pas par un élargissement de la gouvernance par les marchés, mais par sa transformation en une gouvernance par les communs, pour aller vers un mieux-être alimentaire individuel et collectif que l’on progressera vers une plus grande sécurité alimentaire. Les conférences des parties (COP) tenues sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (ONU) en 2022, COP27 à Charm-El-Cheik sur le climat et COP15 à Montréal sur la biodiversité, sont venues dans un contexte de crise polysémique amplifiée par la pandémie Covid-19 et la guerre en Ukraine – confirmer l’urgence d’un changement de cap et la nature des freins à sa mise en œuvre. Pour traiter ces sujet, le concept de système alimentaire défini par Louis Malassis, fondateur de l’école francophone d’économie agroalimentaire, comme « la façon dont les Hommes s’organisent, dans l’espace et dans le temps, pour obtenir et consommer leur nourriture » (Malassis, 1994) est utilisé par Dr Papa Abdoulaye Seck qui estime qu’un système alimentaire est formé par un ensemble d’acteurs interdépendants depuis la production de semences végétales et animales jusqu’à l’assiette ou le verre du consommateur. Dans la majorité des pays de notre planète, souligne Dr Seck, le système alimentaire se situe au premier rang en termes d’activité économique et d’emploi. Une première partie sera consacrée à un rapide historique des systèmes alimentaires, à leur configuration actuelle et à un état des lieux des disponibilités en nourriture sur les différents continents. Dans un deuxième temps, nous présenterons un scénario possible répondant aux critères d’un développement durable : les systèmes alimentaires territorialisés durables (SATD). Nous examinerons dans une troisième partie, avec un focus sur l’Afrique, les défaillances des politiques agricoles et alimentaires contemporaines. Une dernière partie analysera les spécificités des systèmes alimentaires dans l’espace euro-africain et une possible convergence contextualisée en mobilisant le concept de SATD. En conclusion, nous traiterons de la nécessité et de l’urgence d’une transition vers une alimentation durable adaptée à chaque territoire. Le Journal Agropasteur s’est intéressé à la première partie de l’article consacrée à un rapide historique des systèmes alimentaires, à leur configuration actuelle et à un état des lieux des disponibilités en nourriture sur les différents continents. Les autres parties consacrées au scénario possible répondant aux critères d’un développement durable notamment les systèmes alimentaires territorialisés durables (SATD) et la partie consacrée sur l’Afrique, les défaillances des politiques agricoles et alimentaires contemporaines et sur l’analyse des spécificités des systèmes alimentaires dans l’espace euro-africain et une possible convergence contextualisée en mobilisant le concept de SATD avant la conclusion axée sur la nécessité et l’urgence d’une transition vers une alimentation durable adaptée à chaque territoire, seront abordées dans les prochaines publications Pour aborder cette première partie consacrée à un rapide historique des systèmes alimentaires, à leur configuration actuelle et à un état des lieux des disponibilités en nourriture sur les différents continents Dr Papa Abdoulaye Seck fait référence des quatre transitions alimentaires que l’humanité a vécu sans parvenir à une sécurité durable et partagée Depuis l’apparition de notre ancêtre l’Homo sapiens il y a environ 400 000 ans, on identifie quatre modifications en profondeur de notre alimentation appelées « transitions alimentaires ». La première transition date de 300 000 ans avec le passage du cru au cuit par l’utilisation du feu à des fins culinaires. La seconde résulte de la domestication de certaines espèces animales et végétales lors de la révolution agricole du Néolithique. La troisième est marquée par la division du travail entre agriculteurs, artisans et commerçants, il y a 5 ou 6000 ans. La quatrième transition alimentaire a débuté il y a environ 150 ans en Amérique du Nord et 70 ans en Europe, avec la création de systèmes alimentaires agro-industriels. Aujourd’hui, nous nous trouvons probablement à l’aube de la cinquième transition alimentaire qui devrait être caractérisée par le passage à des systèmes alimentaires territorialisés durables (Rastoin, 2020).Le modèle agro-industriel présente cinq caractéristiques axées notamment sur une utilisation intensive de produits chimiques de synthèse, de biotechnologies, d’énergies fossiles , une concentration et une spécialisation des entreprises agricoles, de l’industrie et du commerce alimentaire ,une artificialisation des produits par l’ultra-transformation industrielle et l’intensité du marketing , une globalisation des marchés et une financiarisation de la gouvernance publique et privée (IPES-Food, 2023).Le système alimentaire agro-industriel, grâce à une productivité élevée, a permis d’accompagner une croissance démographique exponentielle (un milliard d’habitants en 1800, huit milliards en 2022), contrairement à ce que Malthus (1798) et Ehrlich (1968) avaient prophétisé. Cependant, le système agro-industriel génère des impacts négatifs dans plusieurs domaines :La santé humaine avec la forte hausse de l’obésité et des maladies chroniques d’origine alimentaire qui frappent environ 30 % de la population mondiale (Duru, 2021) ;L’environnement, avec la dégradation des sols et la pollution des eaux, la perte de biodiversité, l’accélération du changement climatique (Crippa et al. 2021) ;La destruction d’emplois dans les exploitations agricoles familiales et les petites et moyennes entreprises (PME) agro-alimentaires et le partage inégal de la valeur dans les filières : moins de 10 % du prix payé par le consommateur de produits alimentaires revient à l’agriculteur (Boyer, 2021) ;La progression de la précarité alimentaire du fait du creusement des inégalités socio-économiques ;Un modèle de consommation marqué par le gaspillage : en Europe, trente pour cent de la nourriture achetée serait jetée (UNEP, 2021).De tels systèmes ont connu une croissance rapide du fait de l’industrialisation des économies des pays à haut revenu, puis des pays émergents, et sous la pression de l’urbanisation dans tous les pays de notre planète. Les systèmes de type agro-industriel approvisionnent en 2022 environ la moitié de la population mondiale, soit 4 milliards d’habitants. Dans les pays à faible revenu, c’est l’autosubsistance et la sous-alimentation qui prédominent en milieu rural, avec des filières d’approvisionnement des villes comportant de nombreux intermédiaires en économie informelle, conduisant à des trappes de pauvreté de grande ampleur (Development Initiatives, 2022).Pourtant, la disponibilité moyenne des produits alimentaires au niveau mondial est supérieure aux normes nutritionnelles. C’est la répartition très inégale de la nourriture entre continents et entre pays qui pose problème comme on le constate dans le tableau 1, mais aussi à l’intérieur de chaque pays comme le montrent les statistiques nationales. En prenant pour indice 100 la moyenne mondiale de 3 indicateurs nutritionnels définis dans les bilans alimentaires de la FAO, l’année 2019 se situe à 86 en Afrique sub-saharienne (sous-continent le moins bien doté) pour la disponibilité énergétique, 74 pour la disponibilité en protéines, 67 pour la disponibilité en matières grasses et respectivement 129, 137 et 202 pour l’Amérique du Nord (sous-continent le mieux pourvu), soit des écarts sur la valeur absolue des indicateurs de 53 %, 84 % et 203 %. Dans le cas de l’Afrique sub-saharienne, il y a déficit nutritionnel et dans celui de l’Amérique du Nord, excès. Au sein de chaque pays, on peut également observer des inégalités nutritionnelles importantes liées à des paramètres socio-économiques. Une situation choquante pour l’humanité en termes de santé publique et d’équité

Dr Papa Abdoulaye Seck Ancien ministre de l’Agriculture, membre de l’Académie nationale des sciences et technologies, Dakar, Sénégal) et de Jean-Louis Rastoin Institut agro, Montpellier, France (source Cah. Agric.)A suivre

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